VERS UN NOUVEAU CYCLE AU SAHEL?
CDD 122
VERS UN NOUVEAU CYCLE AU SAHEL ?
Il y a douze ans déjà, François Hollande, président de la République Française donnait son feu vert à l’opération militaire destinée à chasser du Mali les combattants djihadistes. Les troupes françaises étaient applaudies et saluées en sauveuses de la nation malienne. Peu après, Hollande était accueilli à Bamako en triomphateur du péril islamiste.
Que reste-il de tout cela, à peine douze ans après ? Non seulement rien, mais la France n’a désormais plus droit de cité au Sahel, les troupes islamistes n’y ont jamais été aussi fortes et, via le Bénin, se dirigent de plus en plus ouvertement vers le Golfe de Guinée et l’Atlantique.
Vers un nouveau cycle au Sahel ?
Même si les communications sont rares et verrouillées par les juntes des trois pays, il ressort des quelques témoignages disponibles à quel point les armées au pouvoir, qui disposent pourtant de toute latitude pour agir, perdent sans cesse du terrain sur leurs adversaires djihadistes au Mali comme au Burkina ou au Niger. La raison en est simple et a déjà été souvent exposée dans ces colonnes. À de rares variantes près, les juntes ne traitent les problèmes que sur le plan militaire, commettant en cela la même erreur que les Français du temps de l’opération Barkhane. Pourtant toutes les Écoles de guerre devraient désormais savoir comment opèrent toutes les guérillas du monde, qu’elles soient ou non islamistes. Car les djihadistes opèrent désormais comme toutes les guérillas, en s’intégrant peu à peu dans des populations auxquelles elles apportent de plus en plus de services, ces mêmes services que les États concernés ne veulent ou ne peuvent plus leur fournir : l’eau, l’alimentation, l’aide médicale, la sécurité, du moins quand elles ont fait allégeance. Que ces subsides soient alimentées financièrement par les multiples trafics auxquels se livrent ces bandes, armes, drogues, enlèvements, ou autres financements occultes, pour des populations le plus souvent démunies de tout et se sentant abandonnées par leur gouvernement, peu importe. L’important pour elles est de retrouver une vie presque normale. De là ce qu’il faut bien appeler une islamisation endémique par les djihadistes. Les petits groupes extérieurs voire étrangers ne se fondent pas seulement dans la population, ils recrutent de plus en plus de nouveaux combattants. Comme le disait amèrement le président nigérien Bazoum avant d’être renversé par la junte : donnez à un jeune sans travail une moto et une kalachnikov et vous obtenez un nouveau soldat ! Ce phénomène n’a fait que croitre depuis dix ans, au point que si nul ne sait vraiment où en est le véritable rapport de forces, tous les témoignages convergent vers le constat de juntes maîtrisant de moins en moins leur territoire. Selon une stratégie désormais classique pour toutes les guérillas, non seulement les villes sont de plus en plus encerclées par les campagnes, mais certaines villes, petites ou moyennes, commencent elles-mêmes à tomber. Au Burkina, même Ouagadougou est menacée. Au Mali, de graves attaques se sont produites à quelques dizaines de kilomètres de Bamako. Il en est de même pour Niamey au Niger. Cette pression qui s’intensifie sans cesse, les juntes ont cru pouvoir y faire face par la terreur en commettant de nombreux massacres de civils suspectés de sympathies voire de collaborations avec les djihadistes (lesquels djihadistes faisaient de même dans les villages ayant refusé toute allégeance).
Mais ce cycle doublement terroriste pourrait désormais s’infléchir. Dans une chronique précédente, on a en effet remarqué de la part des trois juntes un début d’évolution stratégique, à l’évidence liée à l’impasse dans laquelle elles se trouvent sur le terrain, voire même au risque de défaite. L’idée d’une négociation possible avec les groupes djihadistes fait son chemin. Les Russes sont certainement pour beaucoup dans ce retournement. Eux connaissent en effet mieux que quiconque la réalité du terrain parce que, directement ou par le biais de leurs supplétifs paramilitaires, ils sont engagés aux côtés des armées régulières des juntes. Ils doivent donc sentir croître le danger de voir les juntes perdre la partie. Leurs liens maintenus avec l’Iran et l’Afghanistan ont permis ces premiers contacts discrets avec la mouvance islamiste (voir sur ce point la chronique CDD 120 du 15 juin 2025). Tout récemment Jeune Afrique (voir La Matinale du 12 juin 2025) signale que l’armée malienne (donc la junte) vient de donner son feu vert à ce que, dans la localité de Diafarabé, le chef militaire local engage des pourparlers de négociations avec la branche JNM des djihadistes. C’est donc la première manifestation concrète de cette nouvelle stratégie. Que donnera-t-elle ? Sur quoi pourraient porter d’éventuels compromis ? Il est évidemment trop tôt pour le dire . Mais qu’un tel feu vert ait été donné dans une localité à proximité de laquelle s’était produit en mai dernier le massacre de 26 civils, laisse penser qu’un nouveau cycle stratégique, fondé sur la recherche de négociations, est en train de s’ouvrir. Diafarabé sera un premier test, peut-être imité ailleurs, voire étendu au Sahel. La suite le dira mais on devine déjà l’importance de l’enjeu.
La poussée vers le Golfe de Guinée
L’accumulation de petits succès locaux et corrélativement l’affaiblissement progressif des armées des trois juntes ont donné de l’appétit aux différents groupes djihadistes qui tentent de plus en plus souvent de s’ouvrir un couloir vers le Golfe de Guinée. Bénin, Côte d’Ivoire, Togo, Ghana sont devenus des cibles fréquentes, pour l’instant essentiellement dans leurs parties septentrionales, dont les habitants ont déjà souvent le sentiment d’être délaissés sinon abandonnés. La Côte d’Ivoire est peut-être le seul pays à avoir réagi au phénomène en ayant mis en place un programme spécifique pour les jeunes sans emploi dans le Nord. Mais la mobilité entre le Burkina et son voisin du sud est telle que ce dernier n’est pas à l’abri de poussées djihadistes accrues. Mais c’est probablement au Bénin que le danger est aujourd’hui le plus grand. Au moins pour trois raisons principales. La première tient au voisinage avec le Nigéria où opèrent également d’autres groupes islamistes avec lesquels la jonction peut être faite, même si leurs dissensions idéologiques peuvent freiner leur rapprochement. La deuxième raison tient à ce que le couloir qui conduit au port de Cotonou est celui emprunté par le pétrole nigérien depuis la construction par les Chinois de l’oléoduc. La tentation de s’emparer de ce couloir est donc grande, dans une région abritant un parc national réputé mais pouvant faciliter de nombreuses infiltrations clandestines. Les tensions frontalières entre le Niger et le Bénin dues au conflit en cours avec les Chinois et la réduction du flux pétrolier vers Cotonou n’arrangent rien à l’affaire. La troisième raison tient enfin à ce que le président béninois, Patrice Talon, arrive à la fin de son deuxième et dernier mandat. Son bilan est souvent décrit comme bon sur le plan économique mais son effacement politique futur pourrait raviver des germes d’instabilité dont profiteraient de possibles incursions djihadistes. Talon ne semble en outre pas avoir veillé à mettre en place des programmes préventifs. Bref le Bénin pourrait être le maillon faible de cette progression djihadiste. Au point de lire sous la plume de François Soudan (voir Jeune Afrique La Matinale du 11 juin 2025) qu’il faut « blinder le Bénin ».
« Blinder », l’image est forte mais la stratégie correspondante est sans doute plus discutable. Blinder le Bénin serait le fermer comme on le fait d’une cuirasse. Avec des frontières aussi poreuses, ce ne peut être qu’un leurre. Ce qui serait nécessaire, c’est une politique délibérée d’attention portée à ces populations à travers des programmes spécifiques qui ne donnent plus prise à ce sentiment d’abandon qui désormais si souvent habite les populations des régions éloignées des centres urbains et des lieux de pouvoir. Surtout en cette ère de fort exode rural qui a saisi le continent.
Nul ne sait comment pourrait se poursuivre la débâcle annoncée des juntes face aux djihadistes ni les éventuels compromis auxquels ces deux systèmes autocratiques parviendraient. Mais il serait hautement souhaitable que le Bénin, longtemps pays paisible et plutôt respectueux des règles démocratiques, démontre, face au danger djihadiste, davantage son intelligence politique que le blindage de ses frontières ou de sa modeste armée.
Jean-Paul de GAUDEMAR
22 juin 2025
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