MOSCOU CONTINUE DE TISSER SA TOILE EN AFRIQUE.
CDD 121
MOSCOU CONTINUE. DE TISSER SA TOILE EN AFRIQUE…
C’est une des conséquences les plus étonnantes sinon des plus paradoxales de la guerre en Ukraine. On aurait pu croire Poutine tout à sa conquête territoriale étant donnée la résistance farouche que lui opposent les Ukrainiens. Malgré également le soutien apporté par le camp occidental à l’Ukraine et les lourdes sanctions infligées à la RUSSIE.
Pourtant Poutine continue à tisser sa toile en Afrique. Sans doute se croit-il assez sûr de lui pour considérer que le camp occidental finira par se lasser de cette Ukraine, surtout avec à sa tête un Trump aussi versatile et une Europe toujours impuissante à se doter d’une défense commune malgré les efforts de quelques-uns de ses dirigeants. Alors, il opère à la façon d’un joueur d’échecs préparant les coups d’après. En témoignent, en Europe, les troupes qui restent massées près des pays baltes et de la Finlande ou la déchirure persistante de la Moldavie
En Europe mais aussi en Afrique. Les moyens utilisés n’y sont pas identiques Mais ils appartiennent tous aux deux mêmes champs, la force militaire et la diplomatie d’influence.
La force militaire, une constante russe
Malgré ses immenses réserves de ressources naturelles, au demeurant captées par une oligarchie issue de l’ex-Parti Communiste, il ne faut pas oublier que la Russie reste un pays très inégalitaire et pauvre. A la différence de la Chine, elle serait incapable d’inonder le monde de ses exportations de produits manufacturés de qualité variable. Sa compétence concrète et exportable reste donc principalement la compétence militaire. De fait, la plupart des pays africains ont signé avec Moscou des accords de défense dont le contenu, rarement connu dans le détail, peut recéler des prérogatives importantes de la Russie. Ces chroniques ont déjà abordé plusieurs fois cette question, y compris lorsque ces accords de défense venaient à toucher au nucléaire. Nucléaire civil, bien sûr, mais pouvant promettre la construction de centrales, l’Égypte restant toutefois le seul pays de réalisation concrète. Ces accords sont en général accompagnés de livraisons d’armes dont la Russie est des très gros fournisseurs mondiaux. À cela s’ajoute une présence significative sur le terrain. Troupes régulières comme l’a démontré le redéploiement de la principale garnison de la Syrie post-Assad en Afrique, notamment vers la Lybie et sans doute au-delà. Mais si Poutine a pu mobiliser des Nord-Coréens sur le sol ukrainien, en Afrique, ce sont beaucoup de supplétifs paramilitaires qui constituent la principale force opérationnelle. Les trois pays du Sahel et la Centrafrique en sont les meilleurs exemples. Mais ils sont également présents en Libye, au Soudan ou au Tchad.
Dans ces pays la guerre n’est jamais exclusive des affaires. Prigogine et le groupe Wagner avaient montré l’exemple. Le nouveau Africa Corps qui a pris la relève, mais sous le commandement direct de Poutine et de son ministre de la Défense, fait de même. Tout ce petit monde y prospère, et de nombreux observateurs témoignent d’une activité de ces groupes paramilitaires ayant tendance d’autant plus à s’étendre que les autres forces étrangères ont quitté ces pays, qu’elles soient françaises, européennes ou américaines.
Le jeu diplomatique
Le front diplomatique, incarné par le ministre des affaires étrangères Sergueï Lavroff est également très actif et constitue un des atouts majeurs de Poutine. Lavroff ne cesse en effet de sillonner le continent à la recherche de nouveaux alliés, notamment pour endiguer tout ce qui pourrait se traduire par des votes défavorables à la Russie dans les enceintes internationales. Cette présence régulière et durable a été jusqu’ici très efficace puisque, hormis quelques pays fidèles au camp occidental, aucun des pays désormais liés à la Russie par un accord quelconque ne semble vouloir le renier. De ce point de vue, le rôle des BRICS, de leur renforcement récent, et du leadership qu’y joue la Russie aux côtés de la Chine, s’affirme toujours davantage.
Mais deux autres évènements plus nouveaux méritent attention dans le jeu diplomatique russe . Le premier est celui des rencontres organisées récemment à Téhéran entre les ambassadeurs afghan et burkinabé d’une part, nigérien d’autre part. Étant donné le poids exercé dans ces deux pays par la Russie, et par ailleurs les liens qui demeurent entre elle et l’Iran et l’Afghanistan, il est plus que vraisemblable que Moscou est derrière ces rencontres ou du moins qu’elle en a facilité l’organisation. Les troupes djihadistes qui combattent contre les États du Sahel appartiennent en effet en grande partie à la mouvance d’Al-Qaïda dont l’Afghanistan est un sanctuaire. Moscou pourrait donc vouloir trouver des compromis entre les deux parties et jouer ainsi les arbitres pacificateurs ! Le processus reste néanmoins complexe à envisager tant les supplétifs russes sont eux-mêmes fortement engagés dans la lutte contre les djihadistes.
Sur un mode moins guerrier, Moscou s’est également lancé dans une autre forme de conquête des esprits sinon des cœurs en Afrique, la diplomatie du sport. On sait à quel point le football est le sport roi sur le continent. Une des tactiques utilisées est alors de solliciter les grands oligarques pour qu’ils soutiennent financièrement, voire achètent les clubs locaux et nationaux. Ce système a déjà prouvé son efficacité en Europe en termes de « softpower » et ne pourrait manquer de susciter le même effet sur le continent. Il suffit de voir les passions déchaînées par la Coupe d’Afrique des nations (CAN) pour en être convaincu. Le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavroff, probable initiateur de cette stratégie, soutient ouvertement ces tentatives et les accords conclus en conséquence (voir sur ce point Jeune Afrique La matinale du 9 juin 2025). Des pays comme le Cameroun, la Zambie ou le Nigéria ont déjà cédé à la tentation. Cz sont pourtant des pays qui ns sont pas forcément considérés comme particulièrement affiliés à Moscou, mais qui jouent eux-mêmes avec toutes les opportunités qui s’offrent à eux
Cette situation rappelle que la Russie et ses tendances impérialistes ne visent pas seulement l’Europe. Sous d’autres formes, elles visent aussi l’Afrique où la Russie peut puiser à la fois intérêt économique et influence diplomatique, voire bases militaires si le projet de Port-Soudan finit par voir le jour. En ce sens, contrairement à ce que continuent à croire, un peu naïvement, beaucoup d’Européens., la Russie n’est ni isolée ni fortement affaiblie par les sanctions, tant l’affaiblissement sinon la mort du multilatéralisme libère plus que jamais les égoïsmes nationaux. Sur ce plan-là aussi la complicité de Trump et de Poutine est grande. Jusqu’où ira-t-elle ?
Jean-Paul de GAUDEMAR
15 juin 2025
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