L'AFRIQUE DU SUD, CIBLE DE TRUMP ?
CDD 120
L’AFRIQUE DU SUD, CIBLE DE TRUMP ?
La scène est presque surréaliste. Le bureau ovale de la Maison Blanche est transformé en un vrai studio de télévision. Au centre Trump et son invité du jour, Cyril Ramaphosa, le président de l’Afrique du Sud. D’un claquement de doigts, Trump demande qu’on éteigne les lumières pour ne laisser la place qu’aux projecteurs, puis les caméras tournent. Devant un Ramaphosa à l’évidence médusé, Trump sort alors un jeu de photos. On devine à peine ce qu’elles montrent. Mais il commente en demandant pourquoi ces Blancs ont été expulsés de leurs terres, pourquoi tel autre a été tué ou lynché. Bref, en raccourci, un procès inversé d’apartheid... Bien que stupéfait, Ramaphosa réussit à répondre quelque chose que l’on comprend mal. Puis la scène s’arrête. Une fois de plus, Trump a fait son show, celui que le monde entier va pouvoir visionner.
Pourquoi cette mise en scène en forme de guet-apens ?
Cyril Ramaphosa ne s’attendait certainement pas à un tel accueil en forme de guet-apens, même si le précédent de Zelensky, quelques mois plus tôt, aurait pu le mettre sur ses gardes. Il venait notamment pour obtenir un abaissement des sur taxes douanières décidées par Trump pour les importations américaines en provenance de son pays. Comme les autres, il avait patienté pour obtenir un rendez-vous pour venir plaider sa cause dans le bureau ovale. Si le sud-africain en a payé un prix fort en se livrant à son insu au show de Trump, donc un prix encore plus élevé que celui « acquitté » par Zelensky, c’est sans doute parce que Trump voulait faire un nouvel exemple : ceux qui le défient ouvertement doivent être châtiés. Surtout s’ils viennent ensuite quémander quelque chose, la paix pour Zelensky, la réduction des droits de douanes pour Ramaphosa. Pavane du coq exhibant ses ergots.
Car Ramaphosa l’a en effet bien défié. D’abord, peut-être tout simplement pour faire une faveur à Elon Musk. On aurait pu croire que les origines sud-africaines de ce dernier l’auraient incité à de l’indulgence, voire de la sympathie vis-à-vis de son ancienne patrie. Las ! c’est davantage de l’apartheid que Musk semble éprouver la nostalgie, en vrai Afrikaaner voulant prendre une bien mesquine revanche. Ses récentes diatribes et son soutien réitéré à l’extrême droite américaine comme européenne forment un tout cohérent. Mais au-delà, il y a bien davantage. À commencer par sa proximité historique, comme celle de son parti l’ANC, avec la Russie de Poutine, et son appartenance pleine et entière aux BRICS, geiyoe ??? au sein duquel se sont joints récemment d’autres pays africains comme l’Égypte et l’Éthiopie. Humilier un affidé de Moscou et de Pékin peut contribuer à panser ses plaies narcissiques. Mais l’Afrique du Sud se pose aussi en opposant politique. En témoignent les propos déterminés de Pamaphosa dès la fin 2024 pour soutenir la cause palestinienne et le peuple gazaoui. Plus grave peut-être encore, sa réception fastueuse de Zelensky à Johannesbourg, il y a quelques semaines. Trump s’étant ??? comme seul médiateur capable de faire céder Poutine, avec le succès que l’on sait, pour arrêter la guerre en Ukraine, Ramaphosa avait osé proposer au président ukrainien de plaider sa cause auprès de Poutine. Bref, il l’avait défié comme possible médiateur du conflit considéré comme le plus important du moment ! Tout cela valait bien un petit guet-apens en forme de show télévisé, au mépris de toutes les conventions diplomatiques…
Mais un leader africain qui s’affirme
L’Afrique du Sud est en effet mal connue en Europe sinon à travers la belle figure de Nelson Mandela et de sa lutte contre l’apartheid. Mais malgré la pauvreté résiduelle d’une grande partie de la population et un modeste indice de développement humain, elle s’affirme peu à peu comme un des poids lourds du continenton ??? potentiel de ressources naturelles, ses capacités technologiques, sa jeunesse aussi sont autant d’atouts dans un pays dont, plus d’une génération après, les stigmates de l’apartheid commencent à s’effacer.
En témoigne une récente enquête de Jeune Afrique (voir le numéro de La Matinale du 27 mai 2025) qui vient de publier un classement des pays les « plus performants » d’Afrique. Le journal opère à partir de trois critères principaux : la gouvernance, l’influence et l’innovation. On ne discutera pas ici de la méthodologie ni des indicateurs utilisés pour mesurer les critères, mais un élément frappant en ressort : l’Afrique du Sud y figure largement en tête. Elle devance nettement le reste du trio leader, l’Égypte et le Maroc. Viennent ensuite d’autres pays, plutôt anglophones comme le Rwanda et le Kenya, la plupart des pays francophones n’apparaissant qu’au-delà de la 10 ème place.
Si, selon l’enquête, la gouvernance est en général le point faible de presque tous les pays africains, elle n’est pas non plus celui de la république sud-africaine. Le pays a été en effet régulièrement secoué par des affaires de corruption et son classement en ce domaine par les sites spécialisés n’est pas des plus honorables. Le président Ramaphosa lui-même a souvent été accusé de mauvaises pratiques. Ce n’est donc pas sur ce terrain que son pays est le plus performant. En revanche, il se rattrape en matière d’innovation grâce à un tissu d’entreprises de haut niveau technologique assez rare sur le continent, qui mériteraient de plus longs développements. Mais c’est également en termes d’influence que l’Afrique du Sud est probablement le pays le plus écouté du continent. La figure tutélaire de Nelson Mandela y est certainement pour beaucoup. Mais le positionnement géopolitique du pays, membre influent des Brics, proche de Moscou et de Pékin, et jusqu’ici ménagé par Washington, notamment à travers le traité de libre-échange (AGOA) dont Prétoria a toujours été un grand bénéficiaire... plus généralement, l’Afrique australe se substitue peu à peu à l’Afrique de l’Ouest comme la sous-région la mieux intégrée du continent, et l’Afrique du Sud y joue un grand rôle, comme le Kenya que l’on retrouve d’ailleurs dans le top 5 des pays les plus performants selon Jeune Afrique..
Le président sud-africain n’avait probablement comme objectif principal en se rendant dans le bureau ovale que d’obtenir de Trump sinon le maintien de l’AGOA, du moins celui de la réduction de la surtaxe de 30% imposée unilatéralement à ses exportations vers les États-Unis. Ajoutée aux 10% imposée à tous, cette surtaxe renchérirait les produits sud-africains de 40% et pourrait provoquer un effondrement de ce marché. On a vu le prix payé par Ramaphosa pour cette requête. Celui de l’humiliation politique en direct, sans que pour autant le risque économique pour son pays n’en soit écarté. Ce n’est donc pas seulement son opposition politique que Trump a voulu signifier ainsi à l’Afrique du Sud, mais sans doute aussi son influence croissante, ce continent qui lui échappe.
Jean-Paul de GAUDEMAR
8 juin 2025
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